Abstractions
Dans ses tableaux abstraits récents, Yanieb Fabre s’aventure dans une peinture introspective, où la surface devient un champ de résonance émotionnelle. À travers crayons de couleur, pastel, graphite ou huile, elle creuse la matière avec lenteur, minutie, obsession. L’abstraction n’y est pas une fuite du réel, mais une manière d’approcher ce qui ne peut être dit autrement : une sensation, un vertige, un souvenir ou une douleur sourde.
Ce processus lent est aussi un chemin intérieur. Là où l’émotion semble figée, Fabre cherche un mouvement. Là où l’ombre s’installe, elle repère une faille, une trace, une ouverture. Le noir n’est jamais absolu : il est poreux, vibrant, habité il devient lumineux.
Loin d’un formalisme ou d’une recherche esthétique dogmatique, ses abstractions sont toujours incarnées. Yanieb Fabre y déploie un rapport physique au support : griffures, déchirures, gommages, superpositions, gestes lents et répétés jusqu’à l’épuisement. Le papier ou la toile devient surface de résistance, le lieu d’une temporalité longue, où chaque trace porte le poids d’un passage. Parfois, certaines œuvres sont soumises à des éléments extérieurs « mer, pluie, pierre » comme si l’artiste acceptait que la nature s’inscrive aussi dans sa matière. Peindre devient ici un acte vital, une façon de traverser ses propres ombres pour en extraire, parfois, une lumière inattendue.
Carnets intimes
Les Carnets Intimes sont des livres aux format Leporello dans lesquels Yanieb Fabre consigne quotidiennement, par le biais du dessin et de l’image ses expériences esthétiques, ses rêves et pensées, ses troubles érotiques, les émotions dont elle porte la trace. Elle illustre les pensées qui s’enchaînent, rendant tangibles et matérielles tout un univers cérébral qui lui appartient, cette activité intense et bouillonnante. Dans ces carnets, elle met en forme ce qui s’apparente à un délire libératoire de son inconscient, cette tempête qu’elle transforme en extase picturale, dans un processus de catharsis par le trait. Elle représente une réalité qui est la sienne, la façon dont elle perçoit le monde et le sensible, au contact de la nôtre.

Codex
Bien que Yanieb Fabre soit une artiste de formation académique, son travail a toujours frôlé l’esthétique et le contenu de l’art aliéné, que ce soit dans sa représentation ou dans ses propres origines créatives. Fabre combine la vidéo, la danse et le dessin, comprenant les arts visuels comme un mécanisme hautement intuitif pour communiquer des impulsions et pour exprimer de manière obsessionnelle ses humeurs et ses passions (ce que l'artiste appelle ses « troubles érotiques »). Pour cette créatrice, l’art est aussi une expérience très animiste, qui la relie à la vision que certaines communautés indigènes ont de la création artistique comme espace privilégié de ritualisation et de manifestation spirituelle de la nature et de l’instinct animal. Cette œuvre gigantesque et multicolore en est un bon exemple. Fabre a dessiné de manière compulsive des scènes très oniriques chargées de sexualité et dont les formes végétales et animales rappellent celles présentes dans certains métiers textiles mexicains, comme ceux produits par le peuple indigène Otomi de l’État d’Hidalgo ou par le peuple Huichol de l’État de Nayarit. -CARLOS PALACIOS (CON AIRE POPULAR Exposition, Maison du Mexique en Espagne, 2020.)

